Drépanocytose : l’IRSS du Burkina Faso a-t-il mis au point un traitement révolutionnaire ?

Allégation : Une vidéo diffusée sur TikTok affirme que l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du Burkina Faso a mis au point un médicament appelé Faca, présenté comme un traitement efficace contre la drépanocytose. Selon la publication, ce remède aurait été officiellement validé et serait déjà disponible dans le pays.
La drépanocytose, aussi appelée anémie falciforme, est une maladie génétique grave qui affecte l’hémoglobine, la protéine responsable du transport de l’oxygène dans le sang. Elle provoque des crises douloureuses, des complications sévères (AVC, infections, anémie chronique) et une diminution de l’espérance de vie. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), plus de 300 000 enfants naissent chaque année avec cette maladie, dont 75 % en Afrique subsaharienne. Des données plus récentes indiquent que ce chiffre est en hausse : en 2021, environ 500 000 bébés sont nés atteints de drépanocytose à l’échelle mondiale. Au Nigeria seul, on estime à 150 000 le nombre de naissances annuelles affectées. Faute de diagnostic précoce et de soins adaptés, jusqu’à 80 % des enfants drépanocytaires africains meurent avant l’âge de cinq ans. Considérée comme une “épidémie silencieuse”, la drépanocytose est l’une des premières causes de mortalité infantile dans plusieurs pays africains.
C’est dans ce contexte de forte prévalence et de souffrance réelle que certaines vidéos virales suscitent espoir, émotion ou engouement, en particulier lorsqu’elles prétendent qu’un remède local aurait été trouvé. Récemment, une vidéo publiée sur TikTok a affirmé que l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du Burkina Faso avait mis au point un médicament appelé “Faca”, présenté comme une solution efficace contre la drépanocytose. Le message a rapidement attiré l’attention sur les réseaux sociaux, suscitant de nombreuses réactions positives, avec des commentaires saluant un “miracle scientifique africain”.
Mais cette affirmation repose-t-elle sur des faits concrets, des validations scientifiques ou une annonce officielle ? AFRICHECK, dans son travail de lutte contre la désinformation, a décidé d’enquêter sur cette déclaration, en croisant les sources disponibles, les publications médicales, les déclarations officielles, et en consultant les données vérifiables. Objectif : distinguer l’espoir légitime de la désinformation médicale.
Vérification des faits
L’IRSS a-t-il communiqué officiellement sur le médicament “Faca” ?
Qu’est-ce que le FACA ?
Le FACA est un médicament traditionnel amélioré, développé par l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du Burkina Faso pour la prise en charge de la drépanocytose. Il tire son nom de la combinaison de deux plantes utilisées dans sa formulation : Fagara (Zanthoxylum fagara, également appelé xanthoxyloïde) et Calotropis (Calotropis procera), toutes deux issues de la pharmacopée traditionnelle burkinabè.
Ce phytomédicament est né dans les années 1990, d’une collaboration entre les chercheurs de l’IRSS et un tradipraticien local. Sous la direction du professeur Innocent Pierre Guissou, les premières formules ont été étudiées, standardisées et validées scientifiquement, d’abord par des tests précliniques, puis par des essais cliniques sur des patients drépanocytaires. Ces études ont montré que le FACA possède des propriétés anti-inflammatoires, antalgiques et antifalciformantes, c’est-à-dire qu’il réduit la douleur et prévient la déformation en faucille des globules rouges – mécanisme central dans les crises drépanocytaires.
Disponible aujourd’hui sous forme de gélules, mais aussi à l’étude en version sirop pédiatrique, le FACA est présenté comme un traitement d’appoint visant à soulager les symptômes et à améliorer la qualité de vie des patients, sans pour autant constituer une guérison de la maladie. Il s’inscrit dans une approche de médecine intégrée, mêlant savoirs traditionnels et validations scientifiques.
Annonces publiques et communications officielles de l’IRSS
Contrairement à d’autres informations virales de santé qui s’appuient sur des rumeurs ou des publications douteuses, l’existence du médicament FACA et son développement par l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) sont bel et bien documentés et publics.
Dès les années 2010, le Dr Sylvin Ouédraogo, alors directeur de l’IRSS, accordait une interview au journal Le Pays dans laquelle il confirmait que le FACA est le fruit d’un partenariat scientifique entre les chercheurs de l’IRSS et un tradipraticien burkinabè. Il expliquait que ce médicament traditionnel amélioré visait à soulager les crises liées à la drépanocytose, et que des études cliniques encadrées avaient permis d’en démontrer l’efficacité et la sécurité.
Plus récemment, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose en juin 2024, le Dr Salfo Ouédraogo, responsable de l’unité de production pharmaceutique (U-PHARMA) de l’IRSS, a réaffirmé publiquement dans une interview à Lefaso.net que le FACA a bien été mis au point par l’IRSS, et qu’il constitue une avancée tangible dans la prise en charge des patients drépanocytaires. Il évoque aussi la fabrication locale du médicament, et les efforts menés pour le rendre plus accessible, notamment sous forme de sirop pour enfants.
Le site officiel de l’IRSS, tout comme les plateformes institutionnelles burkinabè, font état de la reconnaissance officielle du FACA : celui-ci a obtenu une première autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2010, et a été inscrit sur la liste nationale des médicaments essentiels en 2011, puis renouvelé en 2015 et 2020. Ces éléments confirment non seulement l’annonce du médicament, mais également son encadrement réglementaire et son intégration dans la politique pharmaceutique nationale.
Enfin, la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB) a également relayé à plusieurs reprises l’existence du médicament dans des reportages, et le FACA a été présenté comme un exemple de réussite scientifique nationale lors du Prix Galien Afrique 2023, où les chercheurs burkinabè impliqués ont été distingués pour cette innovation.
Conclusion : à la lumière de ces déclarations, reportages et publications officielles, il est incontestable que l’IRSS a publiquement communiqué sur le FACA, en assumant sa paternité scientifique, sa portée thérapeutique, et son positionnement comme solution complémentaire dans la lutte contre la drépanocytose.

Ce qu’en dit la science
Contrairement à de nombreuses allégations virales non sourcées, le FACA apparaît bel et bien dans la littérature scientifique et pharmaceutique, en particulier en Afrique de l’Ouest. Ce médicament, mis au point par l’IRSS, a fait l’objet d’études dès les années 1990. Il est cité dans plusieurs revues biomédicales africaines et internationales telles que Phytomedicine, Pharmaceutical Biology et Journal of Drug Delivery and Therapeutics. Ces publications décrivent ses propriétés anti-inflammatoires, antalgiques et antifalciformantes. Certaines recherches ont isolé les composés actifs du FACA — appelés burkinabines — à partir des plantes Fagara zanthoxyloïdes et Calotropis procera.
Sur le plan réglementaire, le FACA n’est plus un simple produit expérimental. Il a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) au Burkina Faso en 2010, et a été inscrit sur la liste nationale des médicaments essentiels en 2011, avec renouvellements ultérieurs. Ces démarches indiquent une reconnaissance officielle par les autorités sanitaires nationales. Toutefois, la reconnaissance du FACA reste principalement nationale, car il n’a pas encore fait l’objet d’essais cliniques de grande envergure publiés dans des revues scientifiques internationales à comité de lecture.
En termes d’efficacité, les études menées localement — notamment par l’IRSS — montrent que le FACA permet de réduire la fréquence et la gravité des crises vaso-occlusives chez les personnes atteintes de drépanocytose. Il agit en inhibant partiellement la falciformation des globules rouges et en soulageant les douleurs inflammatoires. Des essais cliniques menés à Ouagadougou ont observé une amélioration clinique chez des enfants drépanocytaires traités par FACA. Cependant, certaines recherches extérieures, comme une étude menée en 2018 en France (Pharmaceutical Biology), suggèrent une efficacité limitée in vitro, avec un pouvoir antifalcémique jugé modéré. Ce contraste met en lumière la nécessité d’approfondir les études comparatives, à plus grande échelle, dans différents contextes.
En résumé, la science reconnaît l’existence du FACA comme un traitement validé au plan local, documenté dans plusieurs publications, mais son efficacité reste partiellement établie au regard des standards internationaux. Il s’agit donc d’un médicament prometteur, intégré dans la pharmacopée burkinabè, mais encore en attente de validation globale.
Réactions d’experts
Les spécialistes interrogés sur le sujet s’accordent sur le potentiel thérapeutique du FACA, tout en appelant à la prudence dans sa diffusion massive. Le Dr Sylvin Ouédraogo, ancien directeur de l’IRSS, expliquait dès 2017 que « le FACA est le fruit d’un travail de longue haleine entre chercheurs et tradipraticiens, et a démontré son efficacité sur le terrain, notamment dans la réduction des crises chez les enfants drépanocytaires » (Le Pays, 2017).
De son côté, le Dr Salfo Ouédraogo, chercheur à l’IRSS et chef de l’unité de production U-PHARMA, déclarait en 2024 : « Le FACA est un exemple de médicament traditionnel amélioré issu de la science burkinabè. Nos données montrent qu’il est bien toléré et utile en complément des traitements classiques. » (Lefaso.net, juin 2024).
Cependant, certains experts extérieurs restent prudents. Un article du Monde Afrique en 2017 soulignait que « des chercheurs étrangers s’interrogent sur la robustesse des essais cliniques réalisés au Burkina Faso, et appellent à des études plus poussées avant de généraliser son utilisation ». Ce regard critique n’invalide pas les progrès réalisés, mais invite à poursuivre les recherches pour renforcer la crédibilité scientifique du FACA à l’échelle internationale.
Verdict : Le FACA est bien un médicament développé par l’IRSS et validé au Burkina Faso, mais son efficacité n’est pas encore pleinement reconnue à l’échelle internationale.
Conclusion
Le FACA, développé par l’IRSS, constitue une avancée significative dans la recherche burkinabè sur la drépanocytose. Sa mise au point est scientifiquement documentée, son usage est encadré au niveau national, et il bénéficie d’une autorisation officielle de mise sur le marché au Burkina Faso depuis 2010. Ce médicament, fabriqué localement par l’unité pharmaceutique U-PHARMA, est disponible dans les pharmacies agréées du pays, sous forme de gélules, à un coût abordable. Il a également reçu une AMM en Côte d’Ivoire, ce qui ouvre la voie à une future distribution dans la sous-région.
Toutefois, malgré cette reconnaissance nationale, le FACA reste peu connu et peu validé à l’échelle internationale. Les études cliniques menées à ce jour sont encourageantes, mais de plus grande envergure seront nécessaires pour faire pleinement reconnaître ce traitement par la communauté scientifique mondiale. Il n’existe aucune vente officielle en ligne, ni de distributeur agréé à l’étranger pour l’instant.
Face à la viralité de certaines affirmations sur les réseaux sociaux, il est essentiel de distinguer l’espoir légitime d’une avancée locale de la promesse d’un “remède miracle”. La lutte contre la drépanocytose mérite des réponses sérieuses, fondées sur la science, et non des raccourcis viraux. AFRICHECK continuera de suivre l’évolution de ce dossier et reviendra sur le sujet en cas de nouvelles validations officielles ou scientifiques.