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Chômage des jeunes : l’Afrique détient-elle vraiment le taux le plus élevé au monde ?

Allégation : Plusieurs publications relayées sur les réseaux sociaux, dans des discours politiques et des tribunes médiatiques affirment que la jeunesse africaine détient le taux de chômage le plus élevé au monde. Mais cette affirmation s’appuie-t-elle réellement sur des données vérifiables et comparables à l’échelle mondiale ?

Contexte

L’idée selon laquelle la jeunesse africaine aurait le taux de chômage le plus élevé au monde s’est solidement ancrée dans le discours public, aussi bien politique que médiatique. Elle est souvent mobilisée pour illustrer la précarité économique des jeunes sur le continent et souligner l’ampleur du défi en matière d’emploi, d’inclusion et de développement.

Sur les réseaux sociaux, cette affirmation est fréquemment relayée sous forme de classements et d’infographies virales. En 2023, un tweet très partagé du compte The Spectator Index affirmait que le Nigeria figurait parmi les pays ayant le taux de chômage des jeunes le plus élevé au monde (53 %), suivi de l’Afrique du Sud (61 %). Cette publication a été vérifiée par la plateforme FIJ Nigeria, qui confirmait des taux effectivement très élevés, tout en rappelant la complexité des indicateurs.

Des pages Facebook comme Pepele News ont également relayé cette affirmation sous forme de visuels et de slogans chocs, souvent sans aucune source statistique citée. Ce type de publication tend à présenter une jeunesse africaine « sacrifiée », « sans avenir », victime d’un chômage endémique.

Cette idée ne se limite pas aux réseaux sociaux. Elle est régulièrement reprise dans des tribunes ou interventions publiques. En janvier 2024, Brian Hurfet, consultant panafricain, écrivait dans La Tribune Afrique que « six jeunes sur dix sont au chômage en Afrique », insistant sur l’urgence de mesures pour éviter une impasse démographique et sociale.

Des institutions internationales partagent cette inquiétude. L’ONU, à l’approche des élections générales sud-africaines de 2024, a déclaré que le taux de chômage des jeunes – supérieur à 60 % dans le pays – était un facteur de risque majeur pour la stabilité politique. Cette mise en garde a été rapportée dans un article d’Africanews.

Enfin, la formule revient régulièrement dans le débat politique africain. Au Sénégal, un journaliste a récemment interrogé un candidat à la présidentielle en affirmant que le pays faisait partie des États où le chômage des jeunes serait « parmi les plus élevés au monde », comme rapporté par Leral.

En somme, cette affirmation est devenue un élément de langage puissant dans les discussions sur la jeunesse, souvent utilisé pour alerter, convaincre ou mobiliser. Mais sa récurrence soulève une question essentielle : est-elle fondée sur des données vérifiables et comparables à l’échelle mondiale ? C’est ce que nous allons examiner.

Analyse des données disponibles

a)    Définition : c’est quoi le chômage des jeunes ?

Avant de savoir si la jeunesse africaine détient le record mondial du chômage, encore faut-il bien comprendre ce que recouvre cette notion. Dans les statistiques internationales, le chômage des jeunes désigne généralement la situation des personnes âgées de 15 à 24 ans qui n’ont pas d’emploi, sont disponibles pour travailler et recherchent activement un emploi. Cette définition, établie par l’Organisation internationale du travail (OIT), est celle utilisée par la plupart des gouvernements et institutions internationales comme la Banque mondiale ou l’ONU.

Mais attention : le chômage n’est pas le seul indicateur à prendre en compte lorsqu’on parle des difficultés d’insertion professionnelle des jeunes. Il faut aussi distinguer trois réalités souvent confondues : le chômage formel, le sous-emploi et l’inactivité.

  • Le chômage, au sens strict, ne concerne que les jeunes qui ne travaillent pas du tout, sont immédiatement disponibles et cherchent activement un emploi. Cela exclut par exemple un jeune qui attend simplement une opportunité sans effectuer de démarches, ou un autre qui n’est pas disponible à court terme.
  • Le sous-emploi touche ceux qui travaillent un peu, mais pas suffisamment pour vivre correctement. Cela peut être un emploi trop court, mal payé ou en décalage avec les compétences du jeune. Un vendeur à la sauvette qui souhaite un emploi stable à temps plein, mais n’en trouve pas, est un exemple courant de sous-employé.
  • Enfin, l’inactivité désigne les jeunes hors du marché du travail, c’est-à-dire qui ne travaillent pas et ne cherchent pas d’emploi. Ils peuvent être encore en formation, découragés, occupés par des responsabilités familiales ou tout simplement exclus du système économique.

Dans les contextes africains, ces distinctions prennent une signification particulière. Une majorité de jeunes travaillent dans l’économie informelle, dans des petits boulots ou au sein de leur famille, souvent sans contrat ni sécurité. Statistiquement, ces jeunes ne sont donc pas considérés comme chômeurs, même s’ils occupent des emplois précaires, irréguliers et souvent peu rémunérateurs.

Autrement dit, en Afrique, ne pas être chômeur ne signifie pas forcément avoir un emploi décent. Beaucoup de jeunes jonglent entre survie économique et projets inaboutis, dans une réalité où le marché du travail formel reste inaccessible à la majorité. C’est pourquoi les chiffres officiels du chômage peuvent sembler faibles dans certains pays, alors que la crise de l’emploi reste bien réelle.

        b) Que disent les chiffres mondiaux ?

L’affirmation selon laquelle la jeunesse africaine souffrirait du taux de chômage le plus élevé au monde mérite d’être replacée dans son contexte global. Les données issues de l’Organisation internationale du travail (OIT), de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement (BAD) permettent d’y voir plus clair : l’Afrique, en réalité, offre un tableau contrasté, mêlant extrêmes et paradoxes.

L’Afrique entre extrêmes : du record mondial à l’invisibilité statistique

En Afrique du Nord, le chômage des jeunes atteint des sommets. En 2023, selon l’OIT, près de 22,5 % des 15–24 ans y étaient sans emploi. Ce taux place la région parmi les plus touchées du monde, juste derrière le Moyen-Orient. En Afrique australe, la situation est encore plus critique : portée par les chiffres de l’Afrique du Sud – où près d’un jeune sur deux est au chômage – la sous-région affiche un taux moyen de 47,5 %, l’un des pires au monde.

Mais ce constat change radicalement lorsqu’on regarde l’Afrique subsaharienne. Officiellement, cette zone présente un taux de chômage des jeunes relativement bas, autour de 8,9 % en 2023. Moins que la moyenne mondiale estimée à 13 %. Surprenant ? Pas vraiment. Cette donnée masque en réalité une autre forme de vulnérabilité : l’emploi informel généralisé. Dans cette région, la grande majorité des jeunes n’ont pas le luxe d’attendre un « vrai emploi » : ils se débrouillent dans l’agriculture familiale, le commerce de rue ou de petites activités non déclarées. Résultat : ils sont statistiquement « occupés », mais bien souvent sous-employés ou précaires.

Autrement dit, le chômage mesuré ne reflète pas toujours le chômage vécu. Et c’est tout l’enjeu de cette vérification : ne pas s’arrêter à un chiffre brut, mais comprendre ce qu’il dit – et surtout ce qu’il ne dit pas.

Soiurces :  Organisation internationale du Travail
Soiurces : Organisation internationale du Travail

Comparaisons régionales : qui est vraiment le plus touché ?

Lorsque l’on élargit la focale, d’autres régions apparaissent également en difficulté :

  • Moyen-Orient : Avec un taux moyen de 28,6 %, cette région rivalise avec l’Afrique du Nord. Le chômage des jeunes y est structurel, aggravé par les tensions politiques et les blocages économiques.
  • Europe du Sud : L’Espagne (28,7 %), la Grèce (26,6 %) et l’Italie (22,7 %) enregistrent des niveaux comparables, malgré un filet social plus structuré. Ces pays restent parmi les plus concernés en Europe.
  • Amérique latine & Caraïbes : En recul depuis quelques années, le taux de chômage des jeunes y tourne autour de 13–14 %, proche de la moyenne mondiale. Mais là aussi, l’emploi informel reste très présent.

  Ce que cela signifie pour l’Afrique

Si l’on en croit les chiffres officiels, l’Afrique ne détient pas, dans sa globalité, le taux de chômage des jeunes le plus élevé au monde. Mais cette lecture serait trop simpliste. Le continent concentre en réalité les deux extrêmes :

  • D’un côté, des sous-régions comme l’Afrique australe et le Maghreb, qui affichent les pires taux mondiaux.
  • De l’autre, l’Afrique subsaharienne, où le chômage semble bas mais dissimule une économie de survie.

En somme, l’Afrique n’est pas systématiquement “championne” du chômage des jeunes, mais elle est bien au cœur d’une crise de l’emploi pour sa jeunesse. Et cela mérite d’être analysé avec nuance, au-delà des slogans viraux.

Ce que les chiffres ne montrent pas toujours

Derrière les pourcentages officiels se cache une réalité bien plus complexe. En Afrique, les statistiques de chômage — même issues d’institutions internationales — sont souvent incomplètes, voire trompeuses si elles sont prises sans contexte. Elles excluent en grande partie les jeunes actifs du secteur informel, comme les vendeurs ambulants, les aides familiales ou les petits cultivateurs, qui ne sont pas considérés comme chômeurs, même lorsqu’ils exercent des activités précaires, sans revenu stable ni protection sociale.

De plus, ces chiffres ignorent l’auto-emploi, pourtant répandu chez les jeunes africains, faute d’offres d’emplois formels suffisantes. Beaucoup « se débrouillent » au quotidien, mais restent loin d’un emploi décent. En se concentrant uniquement sur le chômage « formel », on passe à côté d’une grande partie du problème : le manque d’opportunités réelles pour une jeunesse en quête de stabilité.

Enfin, il est risqué d’isoler une donnée pour en faire une vérité absolue. Dire que l’Afrique a le taux de chômage des jeunes le plus élevé au monde est une affirmation partielle : vraie dans certains cas, fausse dans d’autres. Ce qui importe, c’est de recontextualiser les chiffres pour comprendre la dynamique globale — et surtout, ne pas laisser un indicateur simpliste masquer les véritables enjeux.

Verdict :  Partiellement vrai ! Certains pays africains affichent des taux très élevés, mais l’affirmation généralisée est trompeuse. La réalité varie selon les régions et les indicateurs.

Conclusion

La jeunesse africaine est indéniablement confrontée à une précarité professionnelle massive. Mais les chiffres du chômage, tels qu’ils sont définis par les standards internationaux, ne reflètent qu’une partie de cette réalité. Oui, certains pays africains figurent parmi ceux où le chômage des jeunes est le plus élevé au monde — comme l’Afrique du Sud ou l’Algérie — mais généraliser cette situation à tout le continent est trompeur.

L’Afrique est plurielle. Entre taux officiellement faibles en Afrique subsaharienne et niveaux records en Afrique australe, la diversité des contextes économiques rend toute affirmation globale risquée. La nuance est donc essentielle : le défi est réel, profond et urgent, mais aucun chiffre isolé ne peut à lui seul en rendre compte avec justesse.

 

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